Rencontres philosophiques de Langres 2018 - L'art
La huitième édition des Rencontres philosophiques de Langres porte sur le thème de l'art.
Problématique
On ne saurait vivre dans un monde sans art. Et l’on sait que parmi les grandes violences qui peuvent être faites aux formes humaines d’habitation de la Terre, il y a la destruction ou l’interdiction des arts et des pratiques qui leur sont associées. Or cette évidence de l’art et de notre besoin d’art, celle de son universelle humanité, recouvre, non seulement une très grande variété d’œuvres et de visées artistiques, mais aussi une multitude d’équivoques. On peut aimer l’art pour lui-même et pour ces motifs que l’on dit parfois esthétiques, comme s’il appelait de notre part la suspension ou même la retraite qui sied à la vie devenant ou redevenant contemplative. On peut l’aimer pour ses effets, pour cette augmentation de puissance, de gaieté et de pensée mêlées, qu’il introduit dans notre vie individuelle ou collective. Mais qu’aime-t-on au juste alors dans l’art, et en quel sens de ces termes ? Que les œuvres de l’art puissent constituer autant de mondes à part, se suffisant presque à eux-mêmes et s’offrant à nos rêveries, et qu’elles soient tout autant au principe d’une ouverture constamment renouvelée sur la réalité d’un monde que nous croyons connaître et dont nous nous étonnons sans cesse, cela exprime aussi bien la complexité de l’art et son irréductible pluralité, que la difficulté que nous avons à penser la part d’expérience, de sens comme de non-sens, que nous lui devons.
Les Rencontres explorent cette année les tensions constitutives d’un art dont la philosophie a souvent cherché à délimiter tant la réalité que la vérité, au risque de le voir échapper aux formes et aux figures de la rationalité ainsi escomptée.
Conférences à visionner
Conférence inaugurale - Les mystères de l'art
Visionner la conférence inaugurale - Les mystères de l'art par Frank Burbage, inspecteur général de l'éducation nationale, doyen du groupe philosophie
Les œuvres d'art existent-elles ?
Visionner la conférence Les oeuvres d'art existent-elles ? par Roger Pouivet, professeur de philosophie à l'université de Lorraine, membre de l'institut universitaire de France.
Roger Pouivet est professeur à l’Université de Lorraine et membre de l’Institut Universitaire de France. Il a notamment publié Qu’est-ce qu’une œuvre d’art ? (Vrin, 2007), L’ontologie de l’œuvre d’art (2e ed. Vrin, 2010), L’Art et le désir de Dieu (Presses Universitaires de Rennes, 2017).
Certains pensent que nous voyons des choses en tant qu’œuvres d’art, mais que rien en soi n’en est une. Dès lors, pour eux, les philosophes modernes ont eu bien raison d’insister sur l’expérience esthétique ou les pratiques artistiques. C’est seulement dans cette expérience ou par ces pratiques qu’il y a, pour nous, de l’art. La conférence met en question cette conviction, aujourd’hui si répandue. Elle propose des raisons de penser que, dans l’inventaire du monde, les œuvres d’art existent réellement. Elle défend ainsi une métaphysique réaliste de l’art : dans ce monde, certaines choses sont bien, en elles-mêmes, des œuvres d’art. Quel est alors leur mode d’existence ?
Télécharger la bibliographie de la conférence de R. Pouivet (pdf)
Le symbolisme, une philosophie « incluse et latente » ?
Visionner la conférence Le symbolisme, une philosophie « incluse et latente » ? par Pierre-Henry Frangne, professeur de philosophie de l'art et d'esthétique à l'université Rennes 2.
Pierre-Henry Frangne est professeur de philosophie de l’art et d’esthétique à l’université Rennes 2. Il est directeur de l’école doctorale Arts, Lettre, langues de l’Université Bretagne Loire et du collège doctoral de Rennes. Il co-dirige avec R. Pouivet la collection Aesthetica des Presses Universitaires de Rennes. Il a publié ou dirigé une vingtaine de livres sur Mallarmé, le symbolisme, la musique, le cinéma, le paysage photographique, les arts contemporains.
Le symbolisme français, à l’unité si difficile à déterminer, s’est voulu un mouvement artistique au confluent des arts (peinture, littérature, musique) d’une part, de l’art, de la critique et de la philosophie d’autre part. La conférence visera à comprendre les différentes modalités par lesquelles les artistes symbolistes de la fin du XIXe siècle ont mis en œuvre un art philosophique ou philosophant à partir d’une critique de la philosophie et d’une relève de celle-ci au niveau artistique. Au creux de ce paradoxe, le néoplatonisme et l’hégélianisme jouent un rôle très important. Il reviendra à Mallarmé de les utiliser en affirmant, par l’ironie la plus mordante : « [...] nul vestige d’une philosophie, l’éthique ou la métaphysique ne transparaîtra ; j’ajoute qu’il la faut, incluse et latente. »
Kant, Critique de la faculté de juger, dialectique de la faculté de juger esthétique
Visionner la conférence Kant, Critique de la faculté de juger, dialectique de la faculté de juger esthétique. L'antinomie et sa solution par Jean-Pierre Füssler, professeur honoraire de philosophie en CPGE.
Jean-Pierre Füssler a été professeur de Première Supérieure au Lycée Fustel de Coulanges de Strasbourg et au Lycée Lakanal de Sceaux. Il a publié Les idées éthiques, sociales et politiques de Paracelse et leurs fondements (Presses Universitaires de Strasbourg, 1983). Il a réalisé les traductions, présentations, introductions, notes et bibliographies de la Critique de la raison pratique (en 2003) et de La religion comprise dans les limites de la seule raison d’Emmanuel Kant (publication en cours) pour les éditions GF-Flammarion.
On se propose d’explorer l’antinomie de la faculté de juger esthétique et sa solution. L’intérêt de cet examen réside dans l’explicitation qu’il permet du § 59 sur « la beauté comme symbole de la moralité », paragraphe qui achève la déduction des jugements de goût. On voudrait essayer de préciser comment la raison qui, pour Kant, ne peut pas comprendre le fondement de son usage pratique en tant que raison pure, trouve dans l’altérité de la sensibilité une présentation indirecte de ce qui, en cet usage constitutif, le rend possible : la liberté transcendantale. Il n’y a pas, pour autant, d’ « affinité intérieure » (§ 42) entre beauté et moralité. Le fondement de leur mise en relation nous échappe. Mais cette mise en relation, vécue à l’occasion de la contemplation de la belle nature ou de l’œuvre d’art, fait en quelque sorte du sentiment esthétique pur un « sentiment de la liberté » (La fin de toutes choses).
Théâtre expérimental et démocratie : lectures de Walter Benjamin
Visionner la conférence Théâtre expérimental et démocratie : lectures de Walter Benjamin par Véronique Fabbri, inspectrice d'académie - inspectrice pédagogique régionale de philosophie de l'académie de Montpellier.
Véronique Fabbri est IA-IPR de philosophie (académie de Montpellier). Ancienne directrice de programme au Collège International de philosophie (Théâtres du corps, une philosophie pour la danse), elle a consacré plusieurs livres à la danse (Danse et philosophie, L’Harmattan 2007 ; Paul Valéry, le poème et la danse, Hermann 2009) ainsi qu’un livre à Walter Benjamin (L’enfance de la ville, Hermann, 2013).
Dans les premières années de la révolution russe, Asja Lacis expérimente avec des enfants désocialisés une pratique éducative du théâtre. Cette expérience devient un programme lorsqu’elle rédige avec Walter Benjamin le texte sur le théâtre d’enfants prolétarien. Benjamin est doublement concerné par ce projet : depuis ses années de jeunesse il réfléchit à une réforme radicale de l’éducation et, inséparablement, il ne cesse d’explorer la portée politique du théâtre, d’abord baroque, puis épique.
Dans un tel théâtre expérimental, l’enfant est considéré comme un « collectif », au même titre que les habitants de Paris, mais non au sens que prend « collectif » dans l’habitat soviétique. Théâtre de gestes, improvisés, travaillés, cités, il évoque bien sûr le théâtre de Brecht, mais aussi le théâtre d’Oklahoma de Kafka, « qui emploie tout le monde ». Espace démocratique ? En tout cas d’abord intellectuel, physique et sans concession, à l’opposé du kitsch cinématographique... et de l’idée d’un art populaire. La conférence mettra en relation les études de Benjamin consacrées à Brecht, Kafka, et ses réflexions sur le théâtre liées aux projets de réformes éducatives.
Bibliographie
- Butterlin P. 2016 “les statuettes d’orants suméro-akkadiens : ou comment vivent et meurent les statuettes au pays de Sumer et d’Akkad”, dans C..M. d’Annoville et Y. Rivière (dir.), Faire parler et faire taire les statues, de l’invention de l’écriture à l’usage de la poudre, Ecole française de Rome, p. 88- 106, fig. 15-26.
- Evans, J. 2012, The Lives of Sumerian Sculpture, an Archaeology of the Early Dynastic Temple, Cambridge University Press, Cambridge.
- Marchetti , N. et Marchesi, G. 2011, Royal Statuary of Early Dynastic Mesopotamia, Mesopotamian Civilization 14, Eisenbraun, Winona Lake.
- Parrot, A. 1981, Sumer, Univers des formes, Paris, Gallimard.
La philosophie de l'architecture
Visionner la conférence La philosophie de l'architecture par Hervé Gaff, professeur de philosophie à l'École nationale supérieure d'architecture de Nancy et dans le cadre du master Épistémologie et philosophie de l'université de Lorraine.
Hervé Gaff est diplômé architecte D.P.L.G. et docteur en philosophie. Il a pratiqué l’architecture pendant 10 ans et enseigne la philosophie à l’Ecole Nationale Supérieure d’Architecture de Nancy et dans le cadre du Master Epistémologie et philosophie de l’Université de Lorraine. Il a publié en 2007 l’ouvrage Qu’est-ce qu’une œuvre architecturale ? aux éditions Vrin et a participé ces dernières années à deux colloques internationaux sur l’esthétique, Pouvoirs de l’architecture (Nice, 2015) et Epistemology of Aesthetics (Nancy, 2017).
L’architecture est pour nous paradoxale, elle est ce qui nous est le plus familier et ce qui nous est le plus étranger, en étant à la fois omniprésente dans nos vies quotidiennes et très peu présente dans notre environnement culturel. Si certains philosophes se sont intéressés à l’architecture, ils ne l’ont souvent pas considérée pour elle-même, mais pour certaines de ses causes ou effets. Nous adresserons les questions suivantes : comment les philosophes abordent l’architecture ? Qu’est-ce que devrait recouvrir une philosophie de l’architecture ? Et en retour, que pourrait apporter l’architecture à la philosophie ?
Éblouir les dieux et les hommes, les multiples vies et morts des statuettes sumériennes
Visionner la conférence Éblouir les dieux et les hommes, les multiples vies et morts des statuettes sumériennes par Pascal Butterlin, professeur d'archéologie du Proche-Orient ancien à l'université Paris 1 Panthéon-Sorbonne.
Pascal Butterlin est professeur d’archéologie du Proche-Orient ancien à l’université Paris 1. Il dirige la mission archéologique française de Mari, en Syrie.
Depuis leur découverte dans les années 30 en Syrie et Irak, les statuettes d’orants mésopotamiens n’ont cessé de fasciner. A l’aube de l’histoire, tout un peuple s’est mis en scène au travers d’œuvres sculptées et inscrites chargées d’un immense pouvoir. Nous nous proposons de voir comment ces œuvres ont vécu plusieurs vies, au cœur de pratiques qui mêlaient respect et outrage, jusqu’à jouer un rôle au cœur des passions les plus contemporaines.
Nelson Goodman ou la réorientation de l'esthétique
Visionner la conférence Nelson Goodman ou la réorientation de l'esthétique (vidéo) par Alexandre Declos, maître-assistant de la professeure Claudine Tiercelin au Collège de France.
Alexandre Declos, agrégé et docteur en philosophie, est maître-assistant du Professeur Claudine Tiercelin au Collège de France. Il est l’auteur d’une thèse consacrée à la métaphysique de Nelson Goodman. Ses recherches portent sur la métaphysique analytique contemporaine, la philosophie de la connaissance, et l’esthétique analytique.
L’art, dans la tradition esthétique, a souvent été compris dans sa relation au «goût», au « sentiment », ou à « l’expérience esthétique » d’un sujet. Ceci semble le rendre étranger par principe au domaine de la connaissance rationnelle et objective. L’un des intérêts de la pensée de Nelson Goodman est qu’elle a constamment cherché à défaire cette partition traditionnelle entre l’art et la science, l’émotion et la raison, l’affectif et le cognitif. Ce faisant, Goodman défend que l’art participe pleinement de la formation de la connaissance et de la compréhension du réel.
Faisant fi des débats classiques en esthétique, Goodman cherche à proposer une théorie de l’art comprise comme théorie du fonctionnement symbolique des œuvres, c'est-à-dire, de la façon dont elles disent ou montrent quelque chose du monde. Pour savoir ce que sont les œuvres d’art, selon Goodman, il faut tout d’abord se demander ce qu’elles font, et comment elles le font. Le cœur de cette analyse, qu’il s’agira d’expliquer, est que les œuvres d’art peuvent être comprises comme des complexes de symboles qui réfèrent au sein de systèmes symboliques, par lesquels nous appréhendons le réel. Dans la lignée des travaux menés par Jean-Pierre Cometti, Roger Pouivet et Jacques Morizot, nous vérifierons que toute l’originalité de Goodman est de ramener l’esthétique à l’épistémologie, c'est-à-dire, de montrer que l’art figure une partie authentique de la théorie de la connaissance.
Le regard de l'artiste et la perception enfantine : approches critiques d'un lieu commun de l'esthétique
Visionner la conférence Le regard de l'artiste et la perception enfantine : approches critiques d'un lieu commun de l'esthétique (vidéo) par Sarah Troche, maîtresse de conférences en esthétique et philosophie de l'art à l'université de Lille 3.
Sarah Troche est maître de conférences en esthétique et philosophie de l’art à l’Université de Lille et membre du laboratoire Savoirs, Textes, Langage où elle dirige la thématique « Invention et pratiques dans les arts et la littérature ». Ses recherches portent sur les rapports entre pratiques artistiques et mémoire, principalement dans le champ des arts plastiques et de la musique. Elle est l’auteur d’un livre intitulé Le hasard comme méthode, Figures de l’aléa dans l’art du XXe siècle, Presses Universitaires de Rennes, coll. « Aesthetica », 2015.
L’assimilation du regard artistique à la perception enfantine est un des lieux communs de la sensibilité esthétique, que l’on peut retrouver, selon différentes modalités, chez Baudelaire (« le génie n’est que l’enfance retrouvée à volonté »), Picasso, ou encore Matisse (« il faut regarder toute sa vie avec des yeux d’enfant ») : l’artiste, tel l’enfant qui s’étonne de tout, serait ainsi capable d’une forme de naïveté perceptive première, recevant le monde de manière directe et vive, d’un œil pur et non formaté par le savoir. C’est l’histoire de ce cliché, mais aussi les débats proprement philosophiques qu’il porte en lui, que nous souhaitons interroger : quel idéal perceptif vise cette injonction à une forme de régression ? Quel type de savoir l’innocence du regard cherche-t-elle à suspendre ? Et peut-on apprendre à voir innocemment ? Nous analyserons les débats théoriques qui entourent le thème de « l’œil innocent », depuis Les Éléments du dessin (1856) de John Ruskin, reliant une approche empirique de la perception à la pratique de l’exercice, jusqu’aux perspectives critiques portées sur la possibilité d’une déconstruction du regard, chez Ernst Gombrich et Nelson Goodman notamment.
Bibliographie
- BAUDELAIRE Charles, Le Peintre de la vie moderne [1863], in Œuvres Complètes, édition de Claude Pichois, Gallimard, coll. Bibliothèque de la Pléiade, 1975.
- BERGSON Henri, La pensée et le mouvant [1934], Presses Universitaires de France, coll. Quadrige, 2013.
- DELEUZE Gilles, Francis Bacon, logique de la sensation [1981], éditions du Seuil, coll. « L’ordre philosophique », 2002.
- GOMBRICH Ernst, L’art et l’illusion, Psychologie de la représentation picturale [1959], trad. G. Durand, NRF Gallimard, 1971.
- GOODMAN Nelson, Langages de l’art [1968], trad. J. Morizot, Jacqueline Chambon, 1992.
- KANDINSKY Vassily : « Sur la question de la forme » [1912], in Regards sur le passé et autres textes 1912-1922, édition établie par J.P Bouillon, Hermann, 1974.
- MATISSE Henri, Écrits et propos sur l’art, présentés par D. Fourcade, Hermann, 1972. RUSKIN John, The Elements of Drawing [1856], Herbert Press Ldt, 1991.
- VALÉRY Paul, Degas Danse Dessin [1938], Gallimard, coll. « Folio essais », 1965.
Conférence de clôture - L'avenir de l'art
Visionner la conférence de clôture - L'avenir de l'art par Paul Mathias, inspecteur général de l'éducation nationale, groupe philosophie
Télécharger le texte d'accompagnement de la conférence de P. Mathias (pdf)
Séminaires
Thématiques des séminaires :
- Michel Houellebecq, l’art et la philosophie
- Une approche philosophique de L’anneau du Nibelung de Wagner
- Le paysage hors de son cadre
- La minorité de l’art : une question de rythmes
Télécharger le livret de présentation des séminaires (pdf, 14 p.)
Télécharger les Compléments des séminaires (pdf, 38 p.)