Rencontres philosophiques de Langres 2015 - La religion
Faits sociaux par excellence, les faits religieux participent de notre modernité. À l'heure où l'École est confrontée à des demandes d'éclaircissements sur la laïcité, la cinquième édition des Rencontres philosophiques de Langres se penche sur le thème de la religion afin d’apporter un éclairage conceptuel rigoureux sur le phénomène religieux, qui ne se réduit pas à des dogmes ou à des croyances.
Problématique
Le problème philosophique de la religion se situe à l’intersection de trois champs d’investigation conceptuels. Il recouvre d’abord la question des pratiques religieuses et de culte, non simplement en ce sens que les religions seraient de simples manifestations culturelles et historiques, mais en ce sens qu’elles renvoient toutes à des expériences du sacré, du divin, d’une forme ou une autre de transcendance. Or les frontières mêmes de ce « fait religieux » ne se laissent pas aisément établir. Par quoi il est impossible de ne pas poser la question de la piété, de la foi, de la croyance qui, dans certains contextes, fut convertie en une question de superstition et, dans d’autres, en une question de tolérance et de pluralisme.
Mais, du même coup, la religion jouxte la question de la vérité, dont elle constitue parfois une forme révélée et instituée comme telle, opposée à ses formes dites « profanes », celles de l’expérience ou de la science. La croyance ou la foi ne sont peut-être pas seulement les autres de la raison, mais son écho ou ses envers.
Enfin, toutes les religions ont leur culte et, avec lui, partie liée à l’organisation de la sphère sociale et politique. Les tensions ou la proximité des pou- voirs politique et religieux n’ont pas seulement scandé l’histoire des siècles passés ou les événe- ments des temps présents ; elles constituent une figure centrale de l’organisation politique du pouvoir qui, toujours, oscille entre les représentations d’un absolu intan- gible ou effectif et celles d’une liberté mondaine et assumée.
Ressources pour enseigner
Sélection d'articles des Cahiers philosophiques (publiés par le CNDP) :
- Le fétichisme d'après Auguste Comte, n° 52, 1992, p.7-19
- Platon entre eidétique et théologie ?, n° 79, 1999, p. 71-91
- J.-J. Rousseau : le « contrat social » à l'épreuve de la religion civile, n° 92, 2002, p. 9-34
- Entre Kant et Dieu : la philosophie de la religion de Hermann Cohen, n° 92, 2002, p. 35-53
- La sagesse colérique de Jean Meslier, prêtre athée et parrhêsiaste, n° 120, 2009, p. 51-71
- Michel Foucault et le soulèvement iranien de 1978, n° 130, 2012, p. 51-71
Conférences à écouter
Les enregistrement sonores sont disponibles sur le site Canal-U.
Conférence d'ouverture - La religion, une expérience de vérité
Consulter l'enregistrement sonore de la Conférence d'ouverture : La religion, une expérience de vérité ? par Paul Mathias, inspecteur général de l'éducation nationale, doyen du groupe de philosophie
Quelle que soit la diversité culturelle du fait religieux, qui enveloppe les polythéismes, les monothéismes, mais aussi les athéismes, il est, en son cœur, quelque chose qui ressortit à une expérience spirituelle, éthique et même, en un sens, émotionnelle.
La religion décrit un lieu conceptuel où se rencontrent des problématiques de nature intellectuelle et séculière – les preuves rationnelles de l’existence de Dieu, par exemple, ou le développement historique d’une religion agissant au cœur de sociétés humaines multiples – mais aussi de nature pratique ou existentielle – l’expérience de la foi ou celle du sacré, leur fondation dans l’intimité de la personne ou dans une nature granitique de la coutume, leur évidence ou leur opacité.
Or à la jointure de la vie et de la pensée se jouent tout autant des paris sociaux ou politiques portant sur la force des convictions, leur efficace temporelle, les institutions susceptibles d’en découler. De la cité des hommes à une supposée Cité de Dieu, le cheminement entre valeurs et vérité se révèle d’une rare complexité.
La vérité en religion
Consulter l'enregistrement sonore de la La vérité en religion par Philippe Büttgen, professeur des universités en philosophie à l'Université Paris 1, Panthéon-Sorbonne
La question du vrai est posée aussi intensément dans les doctrines religieuses qu’elle peut l’être en philosophie, mais elle est posée autrement. C’est cette différence qu’on explorera, à partir de ce que les textes sacrés, Bible et Coran, disent de la vérité, sa nature, sa possession et ses effets – l’essence de la vérité. La difficulté tient à ce qu’à cette différence ne correspond aucune « conception » particulière, aucune définition dissidente de la vérité, simplement la vérité la plus ordinaire : l’adéquation de la chose et de la pensée. Les religions revendiquent la vérité comme tout le monde le fait, en affirmant que ce qu’elles disent correspond à ce qui est. Ce faisant toutefois, elles font voir ce qu’il y a derrière l’adéquation ou la vérité comme correspondance : le droit, mais aussi une critique complexe des catégories du droit et de la politique. L’examen de la question de la vérité conduit ainsi à reconsidérer l’étrange fascination théologico-politique qui semble s’être emparée de la philosophie en France depuis une trentaine d’année.
Haro sur la création ?
Consulter l'enregistrement sonore de la Haro sur la création ? par Paul Clavier, maître de conférences à l'École normale supérieure de Paris
Parmi les questions qui fâchent, et qu'on soupçonne un peu vite de menacer la laïcité, il y a celles de l'existence de Dieu (nullement réglée par la mort présumée de la métaphysique) ou, pire encore, celle de la création. L'univers existe-t-il de lui-même, ou doit-il son existence à un créateur ? Pouvons-nous rationnellement poser la question et évaluer les réponses en lice ?
Comment éviter la confusion entre sciences physiques et interrogation métaphysique ? Comment sortir de l'amalgame création / Big Bang ? Comment distinguer la question « d'où vient l'Univers? » de la question « d'où vient qu'il y a un Univers ? » (Étienne Klein) ? Une fois dégagé de l'amalgame créationniste, le concept de création a-t-il une pertinence éthique, comme Jefferson ou Voltaire le pensaient, ou comme Arendt le laisse encore entendre ?
Sur le concept de religion civile : en quoi la pensée de Rousseau peut-elle être féconde aujourd’hui ?
Consulter l'enregistrement sonore de la Sur le concept de la religion civile : en quoi la pensée de Rousseau peut-elle être féconde aujourd'hui ? par Bruno Bernardi, professeur de chaire supérieure honoraire en philosophie
La modernité a hérité de Rousseau nombre de ses concepts politiques, mais c’est souvent en écartant, par ignorance ou refus, les thèses dont ils étaient porteurs. Un tel risque est encouru par les tentatives contemporaines pour mobiliser celui de religion civile. Cette intervention, au contraire, commencera par mettre en évidence le contexte historique dans lequel Rousseau a formé ce concept et la place qu’il lui donne au sein de sa théorie politique, pour mieux discerner en un second temps le type de pertinence et de fécondité que nous pourrions lui accorder dans le contexte bien différent qui est le nôtre aujourd’hui et dans le cadre des problèmes nouveaux que doivent affronter les théories de la démocratie.
À propos de l’idée de salut. Un point de vue sociologique
Consulter l'enregistrement sonore de la À propos de l'idée de salut. Un point de vue sociologique par Bruno Karsenti, directeur d'études à l'École des hautes études en sciences sociales
Nous voudrions, dans cet exposé, considérer la religion comme motif spécifique d’action, à l’aide du prisme sociologique fourni par Durkheim. Pour cela, nous nous concentrerons sur l’idée de salut. La philosophie politique moderne s’est formée en réservant à la question du salut un traitement particulier, qui a consisté à la décrocher de la question de l’action. La sociologie, qu’elle soit allemande ou française, s’est au contraire efforcée de recomposer ce lien rompu. Elle a consisté essentiellement à réactiver la question du salut en tant que question sociale d’ordre général, que les sociétés (aussi sécularisées soient-elles) et les États (aussi laïcs soient-ils) ne doivent pas ignorer. Il s’agira alors de montrer en quoi la sociologie nous permet d’affronter certains de nos dilemmes, en particulier lorsque la violence religieuse vient prendre de cours, comme une régression incompréhensible, une vocation à la modernité que l’on croit unanimement partagée. C’est que la question du salut n’est pas régressive. Nous pouvons la poser correctement sans la récuser, et entrer ainsi mieux armés – au propre et au figuré – dans les conflits où elle est réellement en jeu, et dont nous sommes nous aussi, quoique nous en voulions, partie prenante.
Conférence de clôture - Philosophie et religion : une cartographie des controverses
Consulter l'enregistrement sonore de la Conférence de clôture : Philosophie et religion ⁄ Une cartographie des controverses par Frank Burbage, inspecteur général de l'éducation nationale, groupe de philosophie
Kant a dit de la métaphysique – d’une certaine métaphysique en tout cas – qu’elle constitue « un champ de bataille ». Sans doute est-ce aussi le cas de la religion, lorsqu’elle ne parvient pas à se « tenir dans les limites de la simple raison », et qu’elle se fait enthousiasme, fanatisme, violence dominatrice ou destructrice. Or il n’est pas sûr que de telles propositions, les inquiétudes qui s’y expriment et les régulations qui s’y esquissent, adossées aux certitudes héritées du conflit des Lumières contre la superstition, puissent être encore les nôtres. Il y va d’une historicité de la religion, des questions même qu’elle adresse à la philosophie, ou que la philosophie lui adresse. On essaiera de comprendre à partir des travaux de ces Rencontres et des embarras qui s’y font jour, sous quelles différences et divergences, sous quelles formes de conflictualités ou de neutralisation, se déploient ici et maintenant, pour nous, les approches philosophiques de la religion.
Séminaires
Thématiques des séminaires :
- L'enseignement du fait religieux
- Figures de l'expérience de soi en Islam
- Épistémologie, métaphysique et religion chez James et Bergson
- La furie de la destruction. Les conditions éthiques du fanatisme
Les restitutions des séminaires sont accompagnées de notions et perspectives pour le travail en classe et d'une bibliographie succincte.