Rencontres philosophiques de Langres 2017 - La nature
La septième édition des Rencontres Philosophiques de Langres porte sur la Nature. Existe-t-elle en tant que telle? Ou n'existe-t-elle que par les liens de respect ou de domination qui l'unissent à l'Homme depuis toujours ? Mais l'histoire de l'Homme avec la Nature ne s'établit pas forcément dans une dimension de conflit ou d'affrontement. Elle est aussi pour lui source d'inspiration et a depuis toujours contribué à faire naître de remarquables œuvres d'art.
Problématique et enjeux
La nature n’existe pas – Sommets immaculés des montagnes, abysses des océans, confins encore vierges des forêts les plus denses, rien de tout cela ne ressortit à ce que nous croyons devoir entendre par le mot de « nature », qui trahit le fantasme si particulier d’un lieu originel dont le mode d’émergence et l’existence relèveraient de la seule puissance de ses principes.
Dans l’emprise des sciences ou des activités techniques qui en dérivent, « nature » ne désigne en effet que des espaces contraints et des artefacts, soit de la pensée, soit de l’activité humaine. Au sens de la physique ou de la chimie, « nature » dénote un système homogène d’énoncés mathématiques exprimant des constantes, des régularités ou des lois, sans prétention au dévoilement de l’ordre du monde ou à l’épiphanie de son origine. Dans les interstices laissés vacants par les activités humaines, parcs naturels et réserves de toutes sortes, reconnus comme « vitaux », ne sont eux-mêmes que les produits d’une culture écologique, dans le meilleur des cas, ou, parfois, d’industries cyniques thésaurisant sur les loisirs des nantis ou sur l’avenir de ressources inexploitées, au détriment d’anciens modes de peuplement et d’usage. Et même avec l’assentiment des nations, l’Antarctique forme moins un espace « naturel » qu’un laboratoire du passé et de l’avenir de la planète et, à ce titre, un objet technique lui-même intégré aux systèmes d’énoncés savants et d’appropriation qui permettent de le configurer comme tel.
Penser la nature, c’est donc penser au rebours d’une représentation naïve des origines du monde ou de l’homme. L’origine est perdue ; ou plutôt, sitôt surgi, le thème de l’origine aura tout juste masqué l’impossibilité de son objet supposé pour exprimer, dans une incertaine première fois, une pensée de la réalité et de son exposition au regard de l’intelligence. La langue grecque disant physis pour désigner la nature, le philologue et le philosophe n’ont pas eu de mal à y déceler une pensée de ce qui sourd, émerge, prend primitivement forme. Pour autant, l’origine ne fut jamais là-devant, en tant que telle, c’est plutôt la pensée qui, de première main, étendit sa puissance de clarté sur un monde dont elle s’étonnait. Les pensées de la nature n’ont jamais été des pensées des origines ou de l’immaculée création, elles furent et continuent d’être comme « les travaux et les jours » de l’intelligence, dressant un arc entre le sol effectif de sa puissance et le potentiel et sombre horizon de son intempérance.
Par la diversité des approches de « la nature » que les Rencontres philosophiques de Langres permettent d’exposer, un public lettré ou curieux s’instruit à une délicate discipline du « naturel » et prend la mesure des enjeux métaphysiques, scientifiques et pratiques que recouvre notre rapport à « la nature » : recherche de sens ou exigence d’ordre ? contraintes économiques ou nécessités vitales ? connaissance du monde ou désir de maîtrise ? À portée de main, la terre et ses ressources ; au-delà du regard, les étoiles et leurs promesses infinies.
Et nous ? Allons voir le cyprès dans le jardin !
Conférences à visionner
Message de Jean-Michel Blanquer, ministre de l'Éducation nationale
Visionner le message de Jean-Michel Blanquer, ministre de l'Éducation nationale
Conférence inaugurale - La Nature sans fond
Visionner la conférence La Nature sans fond par Dominique Horvilleur, professeur de Chaire supérieure, académie d'Aix-Marseille.
« Sans fond », la nature le serait, au moins, en deux sens : parce que, à l’opposé, de l’esprit, toute en extériorité, elle s’offre, dans ses innombrables aspects, ou phénomènes, autant que dans sa régularité, au regard, à la jouissance, à la recherche, à la connaissance. Elle n’a aucun ‘secret’ qui, à terme, ne pourrait être découvert. Mais, « sans fond », aussi, à l’inverse, parce qu’elle serait proprement insondable, en tant que puissance native, première, productrice de formes, à la fois fondement et abîme.
Parle-t-on alors de la même « nature » ? Oui et non. La distinction classique entre « nature naturée » et « nature naturante » laisse entier, en le figeant, le problème de l’univocité du terme. Et c’est cette distinction que nous aimerions creuser et réactiver en parcourant, très brièvement, certains thèmes de la Critique de la faculté de juger où Kant cherche, par sa réflexion sur le beau et le vivant, à se frayer une voie entre une impossible (et paradoxale) métaphysique de la nature et une nécessaire mais insuffisante science physique de la nature.
Cet ouvrage charnière dans l’histoire de ce qu’on appelle les deux voies de l’idéalisme allemand est loin de n’avoir qu’un intérêt académique, il relève le défi de devoir, et de pouvoir, penser la nature à la fois hors théologie et épistémologie. Ce qui permettrait d’en interroger le sens. Et donc le fond.
Comment peut-on être aujourd'hui à nouveau naturaliste ?
Visionner la conférence Comment peut-on être aujourd'hui à nouveau naturaliste ? par Daniel Andler, professeur émérite de philosophie des sciences de l'université Paris-Sorbonne, spécialiste de sciences cognitives.
Le naturalisme n’est pas né d’hier : il parcourt l’histoire de la philosophie depuis l’origine. Il n’a pas un visage, il en a cent. Mais à travers les âges, il conserve une unité d’inspiration : il se dresse contre une dichotomie reçue, et il le fait au nom de l’expérience. Ce qui a varié selon l’époque et le contexte est la dichotomie que le naturalisme entend contester, et la source de l’expérience à laquelle il puise. S’il revient sur scène aujourd'hui, c’est pour s’opposer à plusieurs dichotomies distinctes, quoique liées : philosophie/ science, sciences de l’esprit/ sciences de la nature, société et culture/ individu et nature ; pour ce faire il s’appuie sur un ensemble de programmes de recherche, d’apparition relativement récente, visant à constituer une science de l’homme sur le modèle des sciences de la nature, autrement dit une science naturaliste de l’homme. — sciences cognitives, neurosciences, biologie évolutive... On tentera de montrer que la situation présente ne se ramène pas à une lutte sans merci entre naturalisme individualiste et culturalisme collectiviste : une interaction est possible et s’est de fait engagée. Quant aux questions fondamentales pour l’humanisme, elles ne se posent pas en des termes essentiellement nouveaux.
Daniel Andler est professeur émérite de philosophie des sciences de l’Université Paris-Sorbonne. Spécialiste de sciences cognitives, il a fondé le Département d’études cognitives de l’École normale supérieure. Il est le co-auteur ou l’auteur de Introduction aux sciences cognitives (1992, nouv. éd. 2004), Philosophie des sciences (2002), La Silhouette de l’humain (2016), La cognition. Du neurone à la société (à paraître) et d’articles généralement disponibles sur son site. Il est membre de l’Académie des sciences morales et politiques.
Constituer la nature. Nature ou monde
Visionner la conférence Constituer la nature. Nature ou monde par Paul Ducros, professeur de philosophie en CPGE au lycée Emmanuel d'Alzon de Nîmes, académie de Montpellier.
Les sciences de la nature croient en l’objectivité. Elles croient que la nature est cette objectivité, présente par elle-même. Toute représentation humaine n’a alors de légitimité que lorsqu’elle est confrontée à l’objectivité, à la positivité de la nature.
La phénoménologie, surtout à sa naissance avec Husserl, pense que l’évidence objective de la nature ne va pas de soi. Elle n’a de sens que dans un rapport à la subjectivité humaine. Les actes de cette dernière constituent ainsi la nature. Cela ne signifie en rien qu’ils la produisent, seulement que la nature n’a de sens que liée à la vie humaine qu’il faut penser comme idéalisme transcendantal.
C’est la portée de l’idéalisme de la phénoménologie husserlienne, notamment dans la « Première Section » des Ideen II ainsi que dans le cours de 1927 dernièrement traduit : Nature et esprit, qu’il s’agit de comprendre. Cet idéalisme peut nous prémunir des dérives d’un positivisme contemporain trop confiant en lui-même.
Paul Ducros, agrégé, docteur et HDR en philosophie, professeur en CPGE au Lycée Emmanuel d’Alzon de Nîmes. Il est l’auteur de quatre livres : Sport et existence. Éléments pour une esthétique du geste, L’Harmattan, 2002. Ontologie de la psychanalyse, L’Harmattan, 2008. Husserl et le géostatisme. Perspectives phénoménologiques et éthiques, Le Cerf, 2011. Sensibilité et imagination. L’esthétique de Hugo von Hofmannsthal, Hermann, 2017.
Les évolutions du droit naturel au début de l'âge moderne
Visionner la conférence Les évolutions du droit naturel au début de l'âge moderne par Thierry Gontier, professeur de philosophie politique et morale à l'université Jean Moulin-Lyon 3, et directeur de l'Institut de recherches philosophiques de Lyon (IRPhiL).
Nous voulons dans cet exposé mettre en valeur quelques grandes lignes d'évolution du droit naturel à l'époque moderne, de Grotius (Du droit de la guerre et de la paix, 1625) à Hobbes (Léviathan, 1651), parallèlement aux transformations de la notion même de « nature ». Nous nous appuierons sur les travaux de Michel Villey, montrant l'émergence d'un esprit juridique « positiviste » (déjà latent selon lui dans la pensée stoïcienne antique), opposé l'esprit jusnaturaliste qui inspire la conception du droit de Platon, d'Aristote, du droit romain et de Thomas d'Aquin. Nous étudierons les questions liées au volontarisme juridique et au contractualisme, à la naissance des droits subjectifs et à la redéfinition du couple justice commutative-justice distributive.
Thierry Gontier est professeur de philosophie politique et morale à l'Université Jean Moulin - Lyon 3, et directeur de l'Institut de recherches philosophiques de Lyon (IRPhiL). Ses travaux portent sur les mutations de l'anthropologie philosophique dans la première modernité (XVe-XVIIe siècles), sur la réappropriation des textes de l'Antiquité ainsi que sur l'interprétation de la modernité à l'époque contemporaine
Nature et liberté. Les philosophies de la nature de l'idéalisme allemand
Visionner la conférence Nature et liberté. Les philosophies de la nature de l'idéalisme allemand par Patrick Cerutti, professeur de philosophie en hypokhâgne à Reims.
Y a-t-il dans la nature quelque chose qui favorise l’expression de la liberté ? Qu’est-ce qui en elle préfigure et prépare notre action libre ou, à défaut, qu’est-ce qui en elle donne prise à notre activité formatrice ? La nature doit-elle recevoir de l’extérieur une rationalité qui la rende utile ou porte-t- elle déjà en elle-même son sens ?
La philosophie de la nature est l’effort le plus remarquable qui ait été mené en Allemagne au début du XIXe siècle pour répondre à ces questions et résorber l’« incommensurable abîme » que Kant avait creusé entre nature et liberté. Son ambition était de montrer que la raison n’est pas un idéal, un au-delà, mais que, dans certains êtres naturels, elle est déjà effective, immédiatement présente. Redonner une réalité à la nature après que la conception mécaniste du monde l’a réduite à n’être qu’un ensemble de qualités et d’affections devait aussi changer la manière dont l’homme se rapporte à lui-même et à Dieu. Le débat qui a opposé Fichte et Schelling en 1805 et 1806 témoigne des efforts engagés par l’idéalisme allemand pour restaurer, dans la mesure du possible, l’unité de la vie dans toutes ses dimensions.
Patrick Cerutti, professeur de philosophie en hypokhâgne à Reims, a publié différentes études sur l’histoire de la philosophie et plusieurs traductions commentées de Jacobi, Fichte et Schelling.
Le genre à l'épreuve de la biologie
Visionner la conférence Le genre à l'épreuve de la biologie par Thierry Hoquet, professeur des universités, département de philosophie, université Paris Ouest Nanterre La Défense.
« Un papa, une maman » : voici, à en croire certains militants, ce que nous dit la Nature. Pourtant, dès lors qu’on s’arrache à ce qui semble évident pour notre espèce, dès lors donc qu’on fait de la biologie, le sexe devient un phénomène général, concernant une grande diversité de formes vivantes. Alors, l’évidence de la définition du sexe, et la manière dont on doit les compter (y en a-t-il seulement deux ?), s’obscurcit. Décrire ce que serait un individu mâle ou femelle en général s’avère être une opération fort délicate. En parcourant les formes et les significations du « sexe » en biologie, on est tenté de répéter avec le grand Buffon que la Nature ne fait pas un seul pas qui ne soit en tout sens, et qu’il faut se garder de la réduire à la monotonie de nos idées. Il faut aussi contester tout recours à la Nature comme norme politique et modèle de société. La question est ancienne et déjà Pierre Bayle demandait si la chaste colombe pouvait servir de modèle de vertu à l’Impératrice Barbe. Si l’on se doit donc de ne pas simplifier la Nature telle que la biologie nous la décrit, il faut aussi maintenir la biologie dans sa sphère propre. La société ne dérive pas ses principes d’une « Nature ».
Philosophe, professeur à l’université Paris Nanterre, Thierry Hoquet travaille sur les sciences de la vie et leurs prolongements culturels. Après plusieurs études consacrées à Buffon, Linné et Darwin, il est notamment l’auteur, aux éditions du Seuil, de Cyborg Philosophie. Penser contre les dualismes (2011) et Des sexes innombrables. Le genre à l’épreuve de la biologie (2016), ainsi qu’aux éditions iXe, de Sexus Nullus ou l’égalité (2015) et Déicide ou la liberté (2017).
La tradition juridique civiliste à l'épreuve du droit de l'environnement
Visionner la conférence La tradition juridique civiliste à l'épreuve du droit de l'environnement par Sarah Vanuxem, maîtresse de conférences en droit privé à l'université Nice Sophia Antipolis, membre des conseils scientifiques du Parc national du Mercantour et de la Fondation pour la recherche sur la biodiversité.
La tradition juridique civiliste se caractérise par son rationalisme et, plus précisément, par son systématisme : les grandes notions de personnalité, de propriété ou de responsabilité se répondent et définissent les unes par rapport aux autres. Ainsi la personne-propriétaire, la personne- responsable et la personne-cocontractante ont pu être présentées comme trois hypostases de la notion de sujet de droit (Ch. Grzegorczyk, 1989). Sous l’influence notamment du droit de l’environnement, l’on assiste toutefois, aujourd’hui, à un renouvellement de chacune des grandes notions civilistes. Par exemple, l’admission du « préjudice écologique pur » permet d’engager la responsabilité d’une personne à raison du dommage causé, non plus seulement à une autre personne ou à ses biens, mais à l’environnement ; la création des « obligations réelles environnementales » porte atteinte à la vision absolutiste moderne de la propriété ; la notion de « patrimoine commun de l’humanité » fait écho à la conception romaine et successorale du patrimoine. L’on peut alors se demander ce qu’il advient du système juridique civiliste : éclate-t-il de toutes parts ou se reconfigure-t-il de manière cohérente ? Avec l’essor du droit de l’environnement, ne renouerait-on avec une conception réaliste du droit faisant pièce à la figure moderne du sujet de droit ?
Sarah Vanuxem est maîtresse de conférences en droit privé à l’Université Nice Sophia Antipolis et membre des conseils scientifiques du Parc National du Mercantour et de la Fondation pour la Recherche sur la Biodiversité. En délégation à l’Institut National de Recherche Agronomique, elle mène des recherches en droits des biens et de l’environnement. Elle est l’auteure d’une thèse intitulée Les choses saisies par la propriété, préface de Th. Revet, IRJS, 2012. Avec Caroline Guibet-Lafaye, elle a codirigé l’ouvrage intitulé Repenser la propriété, un essai de politique écologique, PUAM, 2015. Elle a également écrit divers articles, parmi lesquels « PIPRA (Public Intellectual Property Resource for Agriculture) : une tentative avortée de pallier la faiblesse du domaine public dans les technologies agricoles », in B. Coriat (dir.), Le retour des communs. La crise de l’idéologie propriétaire, LLB, 2015 ; « Les contrefeux de l’empire : le cas des sectionaux, biens de communautés d’habitants », in E. de Mari et D. Taurisson-Mouret, L’empire de la propriété. L’impact environnemental de la norme en milieu contraint II, Victoires éd., 2016 ; « Les services écologiques ou le renouveau de la catégorie civiliste de fruits ? », à paraître dans la Revue de droit McGill (vol. 62).
Nouvelle physique, quelles visions du monde cela implique-t-il ?
Visionner la conférence Nouvelle physique, quelles visions du monde cela implique-t-il ? par Marc Lachièze-Rey, astrophysicien, théoricien et cosmologue, directeur de recherches au CNRS.
La relativité générale, et la cosmologie qui en découle (notamment les modèles de big bang) d’un côté, et la physique quantique de l’autre, ont profondément changé la vision que nous pouvons avoir du monde (l’espace, le temps, l’univers, la matière...). J’indiquerai en quoi. En même temps, cette nouvelle vision du monde est encore très absente (et souvent déformée) dans notre culture...
Astrophysicien, théoricien et cosmologue, directeur de recherches au CNRS, Marc Lachièze-Rey travaille au laboratoire AstroParticule et Cosmologie (APC), à l’Université Paris 7 Denis Diderot. Auteur de nombreux ouvrages de vulgarisation, il a publié récemment L’univers est une éponge, collection Quai des Sciences, Dunod, avril 2017.
Séminaires
Responsables : Pierre Dulau et Guillaume Morano
Articulés aux perspectives critiques esquissées par les conférences ainsi qu'aux enjeux et aux modalités de leur élaboration didactique, les séminaires sont l'occasion, pour les stagiaires, d'un travail effectivement collégial tout au long des Rencontres Philosophiques. Le XXe siècle a vu le déploiement d'une puissance technique sans aucun précédent dans l'Histoire humaine. De la maîtrise du comportement de la matière inanimée jusqu'au contrôle du vivant, la science technicisée, par sa compréhension de plus en plus profonde de l'univers naturel, a de facto permis à l'homme d'accroître son pouvoir. Corrélativement à l'extension de ce pouvoir, le champ de l'altérité naturelle (ce qui se fait par soi, sans nous) paraît avoir diminué, tant et si bien que la « Nature » s'est vue éclipsée et que chaque domaine de recherche comme d'expérience s'enorgueillit d'en faire la critique systématique : des sciences expérimentales, en passant par l'anthropologie, le domaine politique ou esthétique, il n'est pas un domaine où l'on ne s'emploie à déconstruire l'idée de « nature », soit pour réfuter l'existence même de ce que ce terme dénote, soit pour mettre en crise (à des fins épistémologiques ou morales) l'idée préconçue qu'on en a.
Pourtant, c'est bien ce surcroît de puissance acquis récemment par l'homme qui paradoxalement fait ressortir le champ de la nature comme ce fond peut-être irréductible à partir duquel la culture humaine peut seulement faire relief. Et les critiques, si radicales soient-elles, ne font qu'authentifier la persistance de l'objet qu'elles visent. Comme l'éclipse rend visible l'astre qui est momentanément voilé, la technique moderne nous rend soudainement sensible, mais sur un mode obscur et inquiétant, la présence de la nature. Comment donc penser cette « éclipse » ? Cette présence paradoxale ?
Télécharger le Corpus support de travail du séminaire L'éclipse de la nature (pdf), textes proposés par Pierre Dulau et Guillaume Morano, professeurs de philosophie, académie de Strasbourg.
Responsables : Samir Boumediene, Létitia Mouze Henri Commetti et Jonathan Racine
Étudier la nature en partant des plantes, ne va pas de soi. La botanique satisfait peu aux procédures de conceptualisation et aux critères épistémologiques de la science moderne. Si, cherchant à prendre ses distances avec les pharmacopées vernaculaires, la botanique s'efforce avec Linné à une description morphologique fondée sur la « figure, le nombre et la disposition », l'empirisme doux de cette connaissance ne parvient qu'avec difficulté à retrouver le chemin de la « science ». Ce n'est peut-être que récemment qu'une épistémologie entièrement basée sur le modèle de la physique, soulève l'interrogation alors que se développent les biotechnologies dont les plantes sont précisément les cibles principales.
Un premier pas consisterait à reconnaître en quoi accorder une place plus grande à la biologie change notre compréhension de la notion de nature. Si le vivant est par excellence l' « objet » qui oblige les scientifiques d'aujourd'hui à faire retour sur le credo scientifique, la plante est peut-être le vivant qui oblige à son tour les sciences du vivant, de la nature, à repenser autrement leurs méthodes, leurs prétentions et leur statut même de savoir. Il faudra alors, dans un second temps, pousser plus loin et interroger la façon dont s'articulent des savoirs botaniques eux-mêmes pluriels et d'autres formes de savoirs.
Il n'est pas, non plus, impossible que la biologie aura d'autant plus à nous apprendre si nous nous y confrontons après un détour historique et anthropologique : car l'être végétal aux marges de la philosophie et de la science, n'en a pas moins prospéré, depuis toujours, dans les espaces vagues des savoirs et des pratiques vernaculaires. On pourra voir, à cette occasion, en quoi les pharmacopées sont au cœur du discours que la « science » a pu tenir sur la « pensée sauvage » sous le titre de « magie » et des difficultés qu'elle éprouve dans son commerce avec les pratiques endogènes en réduisant à l'état de friche l'invitation véritable dont elles sont porteuses pour ceux dont les « formes de vie » nouent autrement, et autour du végétal, les liens entre les humains et les non humains.
Consulter les ressources bibliographiques sur le site du séminaire De historia plantarum
Télécharger les textes proposés par Henri Commetti, professeur de philosophie, académie de Toulouse (pdf)
Télécharger les textes proposés par Jonathan Racine, professeur de philosophie, académie de Toulouse (pdf)
Télécharger les textes proposés par Letitia Mouze, maîtresse de conférences, université Toulouse 2 Jean-Jaurès (pdf)
Responsables : Arnaud Macé et Philippe Soulier
Étude de plusieurs aspects de la construction du système de représentations qui a fini par donner corps à l'idée de nature en Grèce ancienne.
1re séance : L'arrangement du monde, préhistoire de la nature d'Homère à Empédocle
L'âge homérique ne connaît qu'un sens pour le terme phusis : la nature de la chose individuelle. Le tout n'y est pas encore un kosmos. Nous examinerons les représentations de l'ordre qui, d'Hésiode à Empédocle, ont permis de construire progressivement un arrangement capable d'apprivoiser l'infini (apeiron) et d'en faire un « monde » où chaque nature trouve sa place. L'examen des fragments présocratiques sera confronté aux exposés aristotéliciens.
2e séance : L'enquête sur la nature : médecine et philosophie d'Hippocrate à Platon et Aristote
- Dans le dialogue entre écrits médicaux et philosophiques entre le Ve et le IVe s. s'approfondit la description d'un domaine ontologique que l'on appellera bientôt la phusis. Les textes d'Hippocrate permettent d'identifier un nouveau programme épistémologique, l'« enquête sur la nature », éclairant les philosophies de la nature de Platon et d'Aristote.
- Nous apprécierons aussi la portée du détournement socratique de l'enquête sur la nature au profit d'une préoccupation éthique vouée au soin de l'âme, pour examiner comment Platon réinvestit la phusiologia et renoue autrement le lien rompu entre anthropologie et cosmologie, accomplissant la révolution socratique au sein de la nature elle-même.
3e séance : Nature et immanence.
Les philosophies hellénistiques poursuivent le travail d'homogénéisation de l'ensemble appelé « nature ». En présentant la nature comme un art intérieur aux choses, les stoïciens l'érigent en principe de normativité éthique. Epicure invite à penser une normativité sans finalité : sa physique affirme la positivité organisatrice du hasard dans le cadre d'un naturalisme intégral. Plotin récuse à la fois les schèmes de la production artisanale, de la rationalité immanente et du hasard organisateur, en présentant la production naturelle comme une contemplation affaiblie.
Télécharger le recueil de textes du séminaire Le monde et la nature dans l'Antiquité grecque (pdf, 97 p.) proposés par Arnaud Macé, professeur en histoire de la philosophie et philosophie des pratiques, université de Franche Comté, et Philippe Soulier, professeur de philosophie, académie de Nantes
Responsable : Fabien Nivière
Quelle est la véritable signature de l'être vivant ? Quelle est sa place dans la Nature ? De l'Antiquité jusqu'à nos jours, cette question n'a cessé de hanter l'histoire de la philosophie des sciences sans trouver de réponse satisfaisante. Certains, nourris des pensées d'Aristote et de Bergson, ont supposé l'existence d'un souffle immatériel ou spirituel qui animerait le vivant. D'autres, sur les traces de Galilée et de Descartes, ont refusé toute originalité à la vie, et l'ont réduite aux simples lois de la physique et de la chimie, gommant ainsi la différence entre physique et biologie. Malgré les succès spectaculaires qu'a connus la biologie ces dernières décennies, notamment dans la manipulation du génome, ni le vitalisme ni le mécanisme ne sont parvenus à apporter une solution claire à l'énigme du vivant qui continue de narguer la science du XXIe siècle.
Ce travail inédit propose une hypothèse originale et audacieuse dans la grande tradition naturaliste inaugurée par Anaximandre et Héraclite. La piste chimique est une impasse dans la mesure où le vivant et l'inorganique sont constitués des mêmes éléments, par ailleurs fort communs dans la nature. Ce n'est donc pas en termes de propriétés, mais plutôt de rythmes qu'il faut penser leur différence. Un rythme est une certaine manière de fluer, une allure particulière dans le devenir universel. La Nature (Phusis), pur principe de variation et source éternelle de toute réalité est un flux créateur qui ne connaît aucun repos et engendre tous les rythmes possibles en sécrétant continuellement de la différence. Ce chemin créateur vers le contraste et l'hétérogène, je l'appelle, conformément au sens que la physique lui a donné, une démixtion. C'est l'artisan naturel de toutes les intensités, de tous les contrastes et de toutes les formes. Qu'en est-il de l'être vivant ? Il se nourrit du déséquilibre qui l'a fait naître et poursuit aussi loin que possible l'aventure de la différenciation. Le rythme vivant se distingue de l'inorganique par une démixtion hautement contrastée qui fait jaillir de la chair indivise du chaos la forme du sentant et du senti, du temps et l'espace. Bien protégée par son noyau, ses enveloppes ou ses peaux du devenir turbulent qui fait rage au-dehors, la cellule primitive aménage et réorganise l'écoulement universel qu'elle étire en durée impalpable et dilate en espace matériel. Telle une vaguelette dans la vague, le vivant sécrète sa propre mesure spatiotemporelle au sein de la nature. Ce bio rythme lui permet de scander son existence dans un temps successif et de déployer son action dans un espace de formes ré-identifiables. Mais l'espace et le temps sont comme un élastique : plus on tire sur l'un, moins on a de l'autre : seuls les mortels, c'est-à-dire les vivants ont accès à un monde de formes. Comme une île éphémère battue par les flots d'un océan éternel, ce n'est que durant le temps compté de son existence qu'il jouit des étranges qualités qui nous émerveillent, inconnues de l'inorganique : un métabolisme auto entretenu, une mémoire de son passé et la possibilité de manipuler le monde extérieur.
Il devient alors possible de reconstituer un scénario métaphysique vraisemblable de la naissance du vivant en remontant patiemment l'histoire de la matière jusqu'à l'aurore de la vie.
Télécharger le travail de recherche inédit composé de trois conférences, publié avec l'aimable autorisation de l'auteur : Le rythme vivant (pdf) par Fabien Nivière, professeur de philosophie, académie de Nice
Télécharger le déroulé des séances et lectures conseillées pour le séminaire Le rythme vivant (pdf), document de travail proposé par Fabien Nivière
Ressources complémentaires
Sélection d'articles des Cahiers philosophiques
Consulter une sélection d'articles des Cahiers philosophiques, « Naturalismes d'aujourd'hui », 2011/4 (n° 127) :
- Entretien avec Joëlle Proust. (pp. 7-21)
- Entretien avec Philippe Descola. (pp. 23-40)
- John Baird Callicott, Primauté de la philosophie naturelle sur la philosophie morale - La forme des choses à venir. (pp. 41-62)
- Catherine Larrère, La question de l'écologie - Ou la querelle des naturalismes. (pp. 63-79)
Lettre ÉduNum Philosophie sur la nature
La lettre ÉduNum Philosophie n°8 sur la nature propose une sélection de ressources académiques et nationales.